Ils sont en quelque sorte, les “gardiens et les gardiennes de la Dune”. Ingénieur, botaniste, paysagiste… et de nombreux experts trouvent ici, un inépuisable terrain d’études et d’exploration. Autant de connaissances à transmettre pour que chacun prenne conscience des enjeux liés à la préservation et à la gestion de ce monument naturel en mouvement.
Portraits
Jean-Marie Froidefond, Géomorphologue et ancien chercheur au CNRS et au CNEXO
Jean-Marie Froidefond étudie la dune depuis 1970. Il est également l’auteur du livre La Grande Dune du Pilat – Les mystères de la plus haute dune d’Europe.
Que représente pour vous le Grand Site de la Dune du Pilat avec ses composantes paysagères ?
La Dune du Pilat présente un relief unique en Europe, par ses dimensions et par le fait d’être la seule grande dune non végétalisée, non fixée par la végétation. Pour moi qui suis géologue, c’est un exemple unique.
C’est un relief exceptionnel qui s’est avéré très intéressant à étudier car on est amené à comprendre la formation et le déplacement des dunes du littoral aquitain.
Lorsque j’ai passé ma thèse, j’ai été très étonné car la dune existait déjà depuis 70 voire 80 ans à cette altitude. Et à l’époque, je me disais qu’elle allait disparaître. Mais en réalité, elle est toujours là. On pensait qu’elle diminuerait d’altitude au fur et à mesure. Il y a bien eu des tentatives de végétalisation dans les années 1900. Mais en vain. On voulait arrêter le déplacement de la dune vers l’intérieur des terres. Finalement, la nature s’est bien conservée, malgré son mouvement de 4 à 5 mètres par an. La preuve que la nature a sa propre vie.
Pouvez-vous présenter votre travail sur la Dune du Pilat ? Quelle est votre contribution dans la préservation et la gestion du Grand Site de la Dune du Pilat ?
Cela se divise en deux points.
Tout d’abord, cela a concerné l’identification des 4 principaux paléosols qui se trouvent sous la dune et qui permettent de reconstituer l’histoire générale de cette formation dunaire et aussi de comprendre les différentes phases d’occupation du littoral par les dunes, du Moyen-âge jusqu’à nos jours. En fin de compte, nous observons non seulement des paléosols différents qui témoignent de l’envahissement des dunes sur le littoral mais également différentes époques de végétalisation. Ceci constitue ma contribution la plus importante. J’ai démontré comment s’était formée cette dune et les différentes phases d’occupation du littoral par cette dune côtière.
Ma seconde contribution est plus récente (2014 ou 2015). J’ai mis l’accent sur la végétation très particulière que l’on trouve au pied de la dune. J’étais surpris car on a à la fois des végétaux qui vivent normalement dans des eaux douces et d’autres qui supportent des eaux salées. Le résultat est étonnant. Voici l’explication : en haut de plage, il y a à la fois des eaux douces qui proviennent de l’intérieur des terres, qui circulent sous la dune. Etant donné qu’à cet endroit, il y a des couches imperméables, l’eau ne pénètre pas, elle contourne ces couches et circule sous la dune. Avant de ressurgir au niveau du haut de plage. Parallèlement, nous avons les vagues qui viennent mourir sur la plage, arrivent jusqu’au pied de la dune et apportent de l’eau salée. Voilà pourquoi nous avons les deux types de végétation. Ce qui est amusant et étonnant. Cette végétation s’est très bien adaptée, contrairement à ce qu’on pourrait croire.
Cette zone de végétation qui se trouve au pied de la dune progresse. Elle est plus dense maintenant qu’il y a 50 ans. Elle est plus importante et peut jouer un rôle car ainsi le sable de la plage ne pourra pas alimenter la dune. Cela va peut-être entrainer la diminution de sa hauteur. Mais je ne peux l’affirmer. En réalité, la dune est alimentée par son propre sable, qui arrive jusqu’au sommet. Le banc d’Arguin n’a jamais alimenté la dune. C’est complètement faux.
Premièrement, les dunes sont formées par le sable transporté par le vent. Et ce sable est transporté lorsque vous avez une surface parfaitement horizontale. Il est transporté sur une hauteur de 15 à 20 centimètres maximum et sur une longueur de l’ordre d’un mètre maximum. Le banc d’Arguin est situé à 500 mètres de la dune donc le grain de sable tombe dans l’eau. Une fois dans l’eau, il peut se diriger soit vers l’intérieur du bassin, soit vers l’extérieur en fonction des courants de flot (courant généré par la marée montante) et de jusant (courant créé par la marée descendante). Mais ils n’alimentent pas la Dune du Pilat. Il aurait fallu que les bancs viennent se déplacer au pied de la dune pour l’alimenter.
Deuxièmement, les grains de sable qui se trouvent sur la plage montent sur la dune si la pente n’est pas trop forte. Mais ce sont surtout les grains de sable de la dune elle-même qui sont transportés par le vent vers le sommet. Et ce sont ces grains de sable qui s’accumulent au sommet et qui peuvent augmenter ou diminuer sa hauteur suivant le climat et la météo. Ensuite, ces grains de sable tombent de l’autre côté. Sauf lorsqu’il y a beaucoup de vent, les grains de sable qui arrivent au sommet peuvent être entraînés assez loin et ne pas revenir sur la partie arrière de la dune. Mais le plus souvent, on constate des avalanches de sable sur le côté est, côté forêt.
Elle perd du volume, mais pas tant que cela. C’est pour cette raison qu’elle est toujours là.
Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux visiteurs ?
Le premier c’est que la nature offre un très beau paysage. Heureusement qu’un Syndicat mixte a été créé et que le site est protégé. Cela montre bien qu’un site naturel protégé peut attirer beaucoup de monde et que c’est en fin de compte la protection de l’environnement qui est un atout important pour la population et les visiteurs. Un exemple : je suis monté au sommet une fois le jour de l’an. Il faisait très bon, il y avait du monde, les gens étaient très heureux et certains avaient apporté une bouteille de champagne. J’ai trouvé ça bien. Cet endroit est beau, avec un très beau paysage et c’est important de le mettre en valeur et de ne pas empêcher les gens d’en profiter.
Le second message c’est que la préservation de la nature est un atout très important pour la population, pour sa santé, pour son plaisir. A partir de ce phénomène naturel, on peut en apprendre beaucoup sur l’Histoire. Cela permet également de constater qu’en observant la Dune du Pilat, et mêmes d’autres phénomènes, nous sommes témoins de l’évolution naturelle.
Le second message c’est que la préservation de la nature est un atout très important pour la population, pour sa santé, pour son plaisir. A partir de ce phénomène naturel, on peut en apprendre beaucoup sur l’Histoire.
Pensez-vous que la gestion publique menée depuis plus de 15 ans contribue à cet équilibre recherché entre préservation d’espaces naturels fragiles et qualité d’accueil du public ?
Tout à fait, oui. J’ai connu la dune avant la création du Syndicat mixte. Les gens se garaient n’importe comment. Il faut savoir qu’avant, les gens ne s’intéressaient pas du tout à la dune. L’intérêt est apparu surtout après la seconde Guerre mondiale. Avant, la dune représentait davantage une gêne et les gens essayaient de la couvrir de végétaux, avec des oyats notamment. Ils essayaient de la fixer car elle commençait à empiéter sur leur propriété. Cet engouement pour cette partie de la dune est donc assez récent. Mais avant le Syndicat mixte, c’était le bazar, c’était assez anarchique. Les gens s’arrêtaient n’importe comment et montaient sur la dune sans aucune information, bien sûr, sur sa formation.
Le Syndicat a bien évidemment apporté un parking avec un système de stationnement bien canalisé. L’endroit est plus sécurisé au niveau de la circulation des voitures et au niveau des visiteurs qui viennent la gravir.
Il y a par ailleurs une sécurisation du foncier. Avant, il aurait été possible de voir des gens installer des gargotes un peu n’importe où et n’importe comment. En pied de dune, on aurait pu voir des parkings sauvages pousser à droite ou à gauche.
La végétation qui se trouve au pied de la dune, côté forêt, est assez particulière et peut intéresser les gens. Il y a des endroits par exemple où on trouve beaucoup d’arbousiers qu’on ne retrouve pas ailleurs. Il existe une espèce de microclimat au pied de la dune, à certains endroits, en particulier du côté nord, vers le site de la Grave. On y trouve une végétation particulière et je pense qu’il y a une zone un peu plus humide à cet endroit, puisque la dune joue un peu le rôle de rempart. Donc la végétation est susceptible de se développer de ce côté-là. En revanche, côté océan, ce n’est pas évident de faire connaître la végétation qui s’y trouve. C’est plus éloigné. Côté terre, c’est plus simple, d’autant qu’il y a beaucoup d’espèces importantes. Il y en a 4 ou 5. Mais c’est déjà une bonne chose de leur expliquer que tel arbre est un pin maritime, tel autre est un chêne pédonculé, un arbousier ou encore une fougère aigle. C’est important de partager les bases de la végétation de ce secteur. Elle est vraiment typique. Il faut savoir intéresser les visiteurs et les garder assez longtemps. Il faut essayer de garder les visiteurs pendant plusieurs heures, qu’ils en profitent et ne soient pas impatients de repartir.
Que souhaiteriez-vous ajouter, que vous n’avez pas exprimé à travers ces 4 questions ?
Nous pouvons parler des passes, qui sont dangereuses, dans lesquelles des naufrages ont malheureusement eu lieu car les courants et les houles peuvent y être très importants. C’est très dangereux d’entrer et de sortir du Bassin d’Arcachon.
Les visiteurs s’interrogent beaucoup sur l’origine de cette dune. Pourquoi ici, à cet endroit ? Parlons-en. Même si ce n’est pas simple de répondre. Le sable du littoral aquitain est déplacé par les houles qui forment ensuite un courant qui transporte le sable du nord vers le sud. Le sable à l’entrée du Bassin d’Arcachon se heurte à des courants de marées qui ralentissent ce transport de sable du nord vers le sud. Ce qui crée une accumulation de sable plus importante dans les passes. D’où la présence des bancs de sable. Ces bancs peuvent à un moment donné se coller à la plage. Par exemple, le banc du pinot est venu se coller au sud de la dune dans les années 1940-1950. Dans ce cas, nous ne sommes pas certains d’un impact sur la formation de la dune. Disons simplement qu’à cet endroit il existe une accumulation importante de sable car les passes ralentissent le déplacement de la dérive littorale.
Pour la petite anecdote, nous pouvons également évoquer les couleurs visibles en pied de dune, des sables orangés. Cela vient du fait que les eaux douces sont très riches en oxyde de fer. Il colorie les grains de sable. Parlons aussi des diatomées d’eau douce qu’on retrouve au milieu de la dune et qui interrogent. Les découvertes archéologiques sont aussi très surprenantes. Certaines montrent que les hommes récoltaient le sel. Cela signifie qu’à un moment, la mer était là. Certains mouvements de l’océan sont imperceptibles.
Nathalie Madrid, Déléguée de Rivage Aquitaine, au sein du Conservatoire du littoral
En 2017, Nathalie Madrid a rejoint le Conservatoire du littoral en prenant la responsabilité de la délégation Aquitaine engagée depuis 1998 dans une politique d’acquisition foncière afin de garantir le maintien de l’espace public tout en protégeant de manière définitive le Grand Site de la Dune du Pilat.
Que représente pour vous le Grand Site de la Dune du Pilat avec ses composantes paysagères ?
« Un des plus grands sites naturels de France »
C’est l’un des plus grands sites de la région Nouvelle Aquitaine, voir l’un des plus grands sites naturels de France, de part ses dimensions qui sont, pour les plus connues physiques mais aussi et surtout géologiques, historiques et culturelles. Au-delà de son aspect monumental, il faut s’intéresser au “monument ” géologique qui mérite, à ce titre, d’être respecté. C’est un processus de formation totalement atypique sur le littoral aquitain, une dune en mouvement permanent, unique en Europe. On trouve habituellement ce type de dune en bordure de zones désertiques
Pouvez-vous présenter l’impact de votre travail sur le Grand Site de la Dune du Pilat ?
« Un rôle d’acquisition et de mise en gestion »
L’action principale du Conservatoire du littoral sur le Grand Site de la Dune du Pilat est, comme partout ailleurs sur le littoral français, d’acquérir l’emprise foncière afin de garantir aux générations actuelles et futures l’accès à ces espaces naturels et d’en limiter l’artificialisation. Depuis plusieurs années, un périmètre d’intervention a été arrêté ce qui nous engage à faire l’acquisition de toutes les parcelles naturelles en son sein, qu’elles soient en milieu dunaire ou boisé.
La seconde mission du Conservatoire est d’assurer la mise en place d’une gestion publique pérenne de ses terrains car l’objectif n’est pas de les soustraire au public bien au contraire ! En tant qu’opérateur foncier, l’établissement pour lequel je travaille confie donc la gestion de ses propriétés à un acteur public local et l’accompagne dans la définition d’une stratégie à mettre en œuvre. Déclinée en plan de gestion, cela devient la « feuille de route » commune. Le Syndicat Mixte de la Grande Dune du Pilat a été désigné en 2012, gestionnaire pour toutes les parcelles acquises progressivement par le Conservatoire sur le site de la Dune du Pilat. Aujourd’hui cela représente environ 500 hectares. Tous les ans, nous nous réunissons avec l’ensemble des partenaires locaux pour procéder à une évaluation de l’impact des éléments du dispositif de gestion et les adapter si besoin.
Au-delà de restaurer les parcelles acquises et lutter contre une banalisation des lieux, la gestion comprend également la régulation des usages qui sont divers. Sur la Dune, ils sont essentiellement sportifs et ludiques (pratique du vol libre, embarquement pour traversées maritimes, chasse, randonnée…). Il s’agit là aussi d’organiser, gérer, encadrer les flux générés par ces activités afin qu’elles puissent, tout au moins pour celles compatibles avec la sensibilité du site, perdurer. Leur encadrement réglementé permet de répondre à l’objectif premier du Conservatoire à savoir préserver des espaces naturels et leur biodiversité. Sur la Dune, ce sont des actions encore à entreprendre avec notre gestionnaire. Elles seront facilitées par de nouvelles acquisitions.
Les suivis scientifiques effectués par le Syndicat sont de véritables outils de gestion et fournissent de précieuses informations sur la faune et la flore implantées sur les terrains du Conservatoire. N’oublions pas que la reconquête de la biodiversité est au cœur de notre mission.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux visiteurs ?
« S’émerveiller mais respecter »
Il faut que les visiteurs viennent ici avec du respect pour ce lieu qui est unique. Qu’ils le considèrent comme un espace naturel aux composantes paysagères incroyables et pas comme une attraction touristique.
“C’est une dune de sable blond, dans un écrin vert et bleu, une pépite entre mer et forêt, un joyau du littoral français ».
Quel est votre regard sur les 15 années de gestion publique ?
« Une gestion équilibrée »
Le Syndicat Mixte mène, avec le Conservatoire du littoral, et les partenaires qui ont conscience de la fragilité de ce site et de la nécessité de mettre en place une politique pérenne, de vraies actions pondérées pour atteindre le fragile équilibre entre préservation d’espaces naturels et accueil du public. Aujourd’hui, tous les fondamentaux (maitrise foncière, cadres réglementaires, partenariats, actions de sensibilisation, amélioration des équipements d’accueil…) sont en place pour poursuivre durablement les actions en faveur de la valorisation du Grand Site. Notre gestionnaire s’est fortement impliqué et a fait preuve de constance dans l’action.
Beaucoup pensent que le piétinement accélère l’avancée de la dune et la dégrade mais face aux éléments naturels et notamment l’action du vent, il n’en est rien. Le public peut être en nombre car les outils de gestion sont en place et efficaces. L’enjeu aujourd’hui est la préservation de la composante « verte » du Grand Site. C’est le massif forestier qui souffre du stationnement sauvage et les circulations piétonnes anarchiques engendrant un risque d’incendie (suite à l’incendie de l’été 2022, l’accès au massif forestier et le stationnement sauvage sont strictement interdits).
Même si cela ne relève pas de ses compétences ni de ses obligations, le Syndicat mixte s’est emparé de ce sujet. Il fallait le faire et cela a été fait. Aujourd’hui, la gestion des pics de fréquentation durant l’été est traitée à l’échelle du territoire, dans une démarche globale impliquant tous les acteurs publics. Il faut diversifier les modes de locomotion et accueillir de manière plus qualitative les visiteurs venant à vélo, en transports en commun ou utilisant des navettes depuis un parking relais.
Le syndicat mixte a joué un rôle de meneur sur ce dossier mais sur bien d’autres durant cette décennie et aujourd’hui le gestionnaire du Grand Site est davantage pris en considération. C’est la confirmation qu’il faut continuer les actions engagées qui parfois, souvent, s’inscrivent dans le temps, sur plusieurs années.
Qu’est-ce que vous souhaiteriez ajouter que vous n’auriez pas exprimé en répondant aux 4 questions précédentes ?
« Un tournant décisif »
Il s’agit d’être à la hauteur pour prendre un tournant tous ensemble. Tous les acteurs publics et partenaires, doivent se concerter, œuvrer dans le même sens pour définir les objectifs de demain pour assurer l’avenir de ce site qui ne laisse personne indifférent.
Aurélien Caillon, Botaniste au sein du Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique.
Depuis son arrivée en Gironde en 2011, Aurélien Caillon est le référent botaniste pour l’inventaire de la flore de Gironde ainsi que sur les plantes exotiques envahissantes en Nouvelle-Aquitaine.
Que représente pour vous le Grand Site de la Dune du Pilat avec ses composantes paysagères ?
Quand j’ai découvert la Dune du Pilat pour la première fois, je ne m’attendais absolument pas à trouver une telle formation géologique. Sur sa crête, j’ai ressenti un sentiment d’immensité.
C’est une impression de grande surprise, on ne s’attend pas à ce que cela soit si grand et si vaste.
Après avoir travaillé sur le sujet depuis quelques années, je le perçois aujourd’hui comme un livre, racontant une multitude d’histoires. Il s’agit d’un véritable patrimoine naturel avec ses composantes animales, végétales, fongiques, lichéniques et géologiques.
Au premier abord, le milieu paraît hostile, désertique, inhabité. Bien au contraire, des populations vivaient ici-même (le paysage était tout autre), avant le Moyen-Age ! Le paysage y était bien sûr très différent. Il est passionnant d’imaginer que lorsque les visiteurs arrivent en crête de dune, ils sont au sommet d’un mille-feuilles, composé de plusieurs couches géologiques qui témoignent d’anciennes dunes, de forêts, et de lacs…
Ma vision de botaniste englobe l’ensemble du massif dunaire atlantique. Ce dernier offre un lieu de transition et de refuge pour de nombreuses espèces animales et végétales dont plusieurs sont endémiques du littoral sud-atlantique.
Pouvez-vous présenter l’impact de votre travail sur le Grand Site de la Dune du Pilat ?
Le rôle du Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique (CBNSA) vise à acquérir des connaissances relatives à l’état et l’évolution de la flore sauvage et des habitats naturels selon des méthodes scientifiques. Cela passe par l’identification et la caractérisation des espèces végétales rares, menacées, mais aussi de celles plus communes et de celles exotiques parfois envahissantes.
Inventaires floristiques, recherche d’espèces rares et exploitation des ressources bibliographiques sont autant de méthodes déployées pour mieux connaître, comprendre et préserver notre patrimoine végétal. L’objectif ultime étant d’assurer la conservation de ce patrimoine végétal.
Mon travail de prospection sur la dune du Pilat a démarré en 2011. Ces travaux d’inventaire et d’échantillonnage ont consisté à dresser un état des lieux de la diversité végétale présente sur la Dune.
A l’issue de ces travaux, un véritable partenariat est né entre le Conservatoire Botanique et le gestionnaire du Grand Site. Mon rôle depuis plusieurs années consiste ainsi à accompagner les équipes de la Dune à la mise en place de suivis de la flore et de ses habitats. Ces inventaires réguliers ont permis de bien identifier la flore sauvage de la Dune : les espèces emblématiques comme l’Oyat et l’Immortelle des dunes, les espèces atypiques comme le roseau commun, le rubanier ou le Saule roux (propres aux zones humides), les espèces rares et protégées comme la fameuse Linaire à feuilles de thym, le Silène de Porto et l’Épervière des dunes ou celles considérées comme exotiques envahissantes : le Muguet des pampas ou l’Ailanthe…
Notre objectif : suivre l’évolution de la flore et des habitats sur une dune en mouvance constante ! Mais aussi mettre en place un plan de gestion adapté en fonction des enjeux identifiés. Sur quels secteurs et quelles espèces doit-on intervenir ? A quels endroits positionner des îlots de protection pour éviter tout piétinement ? Quelles espèces envahissantes faut-il gérer…?
Sur le Grand Site de la Dune du Pilat, le Conservatoire Botanique a préconisé de suivre et quantifier le nombre d’individus des espèces identifiées, puis de cartographier les habitats sur la dune.
“Par son rôle d’accompagnement, le Conservatoire Botanique permet au Syndicat mixte de mettre en place des moyens de préservation adaptés pour certaines espèces ou certains sites. Par exemple, le site des Gaillouneys est très riche en espèces patrimoniales, remarquables dont plusieurs sont protégées. Il est indispensable d’identifier les zones sensibles (reservoirs de biodiversité, etc.) où il faut canaliser davantage les visiteurs pour éviter trop de divagations”.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux visiteurs ?
Profitez du paysage et soyez attentifs à tout ce qui vous entoure. Écoutez vos sens. Observez. Imprégnez-vous.
Je les invite à avoir la curiosité de se déplacer, d’aller voir de plus près ce paysage de grande nature qui paraît être au ralenti, alors qu’il fourmille de vie, à certaines heures de la journée. Il faut y passer du temps, profitez de ce temps et de cet espace hors du temps que rien ne fige. La nature nous offre un spectacle inouï dont chacun est le garant. La nature s’impose à nous, et c’est intense.
Ensuite, j’appelle chacun à se faire accompagner par un médiateur culturel lors d’une visite. Je suis convaincu que la grande majorité des visiteurs qui ont participé à ces activités ont découvert une myriade d’informations inédites et passionnantes ! Par exemple connaissez-vous la stratégie du Panicaut des dunes pour disperser ses graines ? Connaissez-vous l’insecte endémique inféodé à la Linaire à feuilles de thym ? Comment font les plantes pour résister à la sécheresse, au mitraillage par le sable, à la mouvance constante de la dune ?
Quel est votre regard sur les 15 années de gestion publique ?
“Un objectif de préservation”
La création d’une structure de gestion publique, le Syndicat Mixte, a permis de porter à connaissance les grands enjeux liés à cet espace naturel d’exception, via le web, les réseaux sociaux, les messages transmis lors des visites commentées proposées au public.
Tout est mis en œuvre pour canaliser et sensibiliser les visiteurs. Des contrôles réguliers sont effectués pour réduire les activités pouvant nuire à la flore ou à la faune, comme des feux de camp dans les bois.
Sans la création du Syndicat Mixte, , il n’y aurait pas eu de gestion réelle des flux, avec des stationnements “sauvages” engendrant des dégradations sur les milieux naturels. Le rôle du gestionnaire est d’informer les visiteurs, de les accompagner et les sensibiliser. La dune du Pilat fait partie des sites touristiques français emblématiques et attire chaque année 2 millions de visiteurs. Il est important de maintenir le bon état de conservation de la dune en parallèle d’une fréquentation toujours croissante. Le Syndicat a mixte permet aussi de porter ce message sur les enjeux et de canaliser les flux de visiteurs.
Qu’est-ce que vous souhaiteriez ajouter que vous n’auriez pas exprimé en répondant aux 4 questions précédentes ?
“Une source de connaissances”
J’invite chacun à ne pas voir la dune du Pilat comme un désert. Il est essentiel de porter à connaissance toute cette diversité et toutes les interactions qu’ont les espèces entre elles. “Replacez-vous dans cet écosystème en tant qu’être humain et animal. Il faut apprendre à regarder pour respecter ce qui nous entoure”.
La connaissance est un socle primordial, permettant la mise en œuvre d’actions de protection, de conservation et d’accueil du public. La communication sur ces différents aspects, qui peuvent paraître parfois pointus, scientifiques et un peu trop techniques, est pourtant fondamentale.
L’Observatoire de la Côte de Nouvelle-Aquitaine
L’Observatoire de la côte de Nouvelle-Aquitaine est un outil d’observation, d’aide à la décision et de partage de la connaissance pour la gestion et la prévention des risques d’érosion et de submersion de la côte néo-aquitaine, en constante évolution.
Les ingénieurs en risques côtiers, spécialiste des évènements extrêmes et en géomorphologie du littoral, travaillent au service de l’ensemble des acteurs publics du littoral en se déplaçant très fréquemment sur le terrain.
Que représente pour vous le Grand Site de la Dune du Pilat avec ses composantes paysagères ?
La Dune du Pilat constitue un environnement unique sur toute la côte sableuse de Nouvelle-Aquitaine. Dans le cadre de son programme de suivi, l’Observatoire de la côte de Nouvelle-Aquitaine considère ce site si particulier comme un objet d’analyse à part du fait de ses dimensions exceptionnelles mais aussi des problématiques d’érosion et de migration dunaire très spécifiques auxquelles il est exposé.
Le rythme de cette migration, de l’Ouest vers l’Est, c’est-à-dire cette progression vers la forêt qui se retrouve ensevelie est peut-être le plus rapide que l’on puisse observer sur la côte sableuse néo-aquitaine.
Ce phénomène est dû en partie à la forme de la dune, à sa géométrie globale. C’est une dune dissymétrique offrant sur le versant Est (côté forêt), une pente très abrupte.
La Dune est soumise à une dynamique éolienne beaucoup plus importante que sur le reste de la côte sableuse sud-atlantique, constituée en grande partie de dunes blanches ou grises végétalisées. L’absence ou la rareté de la végétation sur les secteurs de la Dune du Pilat les plus exposés à la dynamique éolienne contribuent à rendre ce monument de sable extrêmement mobile.
Cette dune est unique car, contrairement aux autres dunes de la côte, l’action publique ne vise pas à freiner sa mobilité. Ailleurs on plante pour stabiliser, ici on observe son évolution, on analyse et on s’adapte.
Tous ces éléments font de la Dune du Pilat, un système unique, que l’on suit comme un objet à part entière.
Quel est l’impact du travail du Bureau de Recherches Géologiques et Minières sur le Grand Site de la Dune du Pilat ?
Le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), principal opérateur technique de l’Observatoire, s’intéresse à l’évolution géomorphologique de la dune du Pilat. Depuis 2009, la dune fait l’objet de mesures annuelles sur la base de relevés GPS et lidar (laser aéroporté) qui permettent notamment d’évaluer le recul du trait de côte (la limite entre la terre et la mer), la ligne de crête et la limite entre la dune et la forêt.
Ces données modélisées en 3D contribuent à mettre en évidence les zones d’érosion et d’accrétion qui sont quantifiées. L’évolution de l’altimétrie est également observée ainsi que celle de la végétation.
Tous ces éléments collectés donnent des indications sur le devenir de la Dune mais fournissent également des informations sur son passé. Ces données sont précieuses pour les gestionnaires.
Quel message le BRGM souhaite-t-il transmettre aux visiteurs ?
C’est un site naturel exceptionnel qui est vraiment, vraiment unique.
Il faut prendre conscience que c’est un environnement extrêmement mobile. On observe là, toute la puissance de la nature, qui reprend ses droits, et occupe l’espace. Ici rien n’est figé. Il faut toujours rester humble face à la nature.
Quel regard sur les 15 années de gestion publique ?
Compte tenu du flux touristique qu’il y a tous les ans sur le site, l’environnement reste très préservé. Tout est assez bien canalisé pour que le flux soit contenu. L’arrivée se fait principalement par l’espace d’accueil et la majorité des visiteurs déambulent autour de l’escalier installé pour faciliter l’ascension.
D’un point de vue extérieur, c’est assez bien ficelé, pour que le cadre soit préservé, et malgré tout cela reste très attrayant pour les touristes. C’est assez remarquable.
Il faut parler davantage de la préservation d’un site naturel de cette qualité et anticiper son évolution pour mener une gestion efficace et durable. Il faut pérenniser la gestion publique de tels espaces, c’est important.
Bertrand Folléa, Paysagiste urbaniste, au sein de l’agence Folléa-Gautier
Depuis son arrivée en Gironde en 2011, Bertrand Folléa est paysagiste urbaniste au sein de l’agence Folléa-Gautier. Il est aussi responsable de la chaire Paysage et Energie à l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille et Paysagiste Conseil de l’Etat. Il a reçu le Grand Prix national du paysage en 2016.
Depuis 2018, après avoir réalisé une mission d’expertise paysagère à la demande du Syndicat mixte, Bertrand Folléa accompagne, en tant que paysagiste conseil, le gestionnaire du Grand Site sur les grands projets d’aménagement lors des phases pré opérationnelles et opérationnelles et apporte sa contribution aux réflexions stratégiques engagées.
Que représente pour vous le Grand Site de la Dune du Pilat avec ses composantes paysagères ?
Au XXe siècle, Julien Gracq a décrit la Dune du Pilat comme :
« Nulle part en France les grands éléments naturels (…) ne se présentent comme ici en grandes masses simples et homogènes, d’une pureté qu’on dirait native »
Malgré les quelques décennies écoulées entre Julien Gracq et nous, on retrouve encore aujourd’hui cette très grande simplicité de paysage : la forêt, le sable, la mer. Très peu d’éléments se succèdent les uns aux autres, et cela donne une impression de nature virginale. Comme si, la mer, le sable, et la forêt étaient là depuis toujours. Comme si, ces milieux n’avaient pas tellement été transformés par l’homme.
Les couleurs sont simples aussi : bleu, blanc, vert. Encore une fois, cette simplicité donne une impression de nature remarquablement préservée.
L’autre particularité de ce site naturel, c’est sa dimension spectaculaire, hors du commun. Tout est immense : la forêt court à perte de vue, l’océan s’étale jusqu’à l’horizon, et on se balade sur un tas de sable géant. C’est une originalité qui est vraiment singulière.
On est sur cette espèce de tranche blanche hors du commun qui sépare deux océans très vastes.
Pouvez-vous présenter l’impact de votre travail sur le Grand Site de la Dune du Pilat ?
Ma contribution se situe à deux niveaux, très différents.
En 2018, j’ai effectué un travail d’expertise, partagé avec tout un groupe de travail rassemblant des élus, des techniciens, des organismes très variés qui sont de près ou de loin partenaires du Syndicat mixte. L’objectif était de réaliser une approche prospective ouvrant sur une perspective d’évolution de la gestion de ce grand site de nature.
L’autre niveau d’intervention est beaucoup plus prosaïque mais non moins important. C’est celui du détail. Ma mission a consisté à accompagner le Syndicat dans l’élaboration et le suivi du projet de requalification de l’espace d’accueil. Celui-ci est étonnamment petit par rapport à l’immensité du site et le nombre de visiteurs. C’est ce contraste qui rend remarquable le travail accompli pour organiser l’accueil du public sur un espace si petit et fragile.
Mon travail a consisté à accompagner le Syndicat, à formuler des avis, à affirmer des choix pour influer dans la maîtrise d’œuvre par exemple pour la réhabilitation du village de cabanes ou en matière d’interprétation. L’objectif était de veiller à la cohérence et de maintenir une harmonie globale.
Concernant les espaces extérieurs, mon intervention était encore plus concrète. L’attention était portée sur la reconfiguration du parking pour l’améliorer, le rafraîchir. Il reçoit en effet beaucoup de monde par rapport à sa taille (ndlr : pendant les pics de fréquentation de juillet-août et les ponts de mai). Il fallait penser au stationnement des bus, pour qu’ils soient moins en prise avec l’ensemble des flux piétonniers, à l’arrivée des vélos qui sont de plus en plus présents, avec notamment le développement des vélos électriques. Il fallait améliorer le confort, la visibilité et l’agrément du visiteur piéton de manière générale (ces travaux ont duré deux ans entre 2021 et 2023, l’inauguration a eu lieu le 30 juin 2023).
Si on ramène ces interventions à la question du paysage, on peut faire une comparaison avec la musique. Le fonctionnement de l’aménagement d’un territoire est généralement sectorisé, chacun travaille dans son domaine spécialisé comme chaque musicien joue de son instrument de prédilection. Mais s’il n’y a pas de partition commune, la musique sera inaudible. Il en va de même dans l’aménagement, il faut écrire et partager une partition commune pour l’harmonie du site qui lui, est unique.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux visiteurs ?
Vous allez visiter un site vraiment merveilleux. C’est merveilleux de sortir des arbres et puis de se retrouver face au mur blanc qui se dresse devant vous, c’est fantastique de se retrouver en haut et d’avoir cet horizon sur ce double océan dont on parlait : le vrai et celui forestier, et dans sa dimension très pure et virginale. Mais, vous n’en connaissez encore rien quand vous avez fait ça.
Allez arpenter la dune dans sa longueur. Vous avez beaucoup à découvrir en passant du temps sur le site.
Prenez du temps pour découvrir davantage toutes les facettes de la dune, jusqu’au bord de l’océan, jusqu’à la façade plus terrestre de la dune, qui est la plus spectaculaire, car on la voit s’avancer dans la forêt, sécher les arbres. C’est absolument magnifique.
Et puis aussi, intéressez -vous à la forêt. C’est une forêt très particulière dans le site classé. C’est une forêt usagère, avec une histoire et un aspect unique.
Le temps de découverte moyen est frappant. 80-85% des gens passent moins de 3h sur le site. C’est très vite consommé. En fait il y a beaucoup à découvrir, à parcourir mais cela ne se sait pas assez.
Il faut entrer dans l’ambiance.
Il faut expérimenter progressivement d’autres formes et d’autres manières à la fois d’accéder, de parcourir et de découvrir le site afin d’encourager les visiteurs à l’appréhender différemment, à lui consacrer davantage de temps, à s’en imprégner.
Quel est votre regard sur les 15 années de gestion publique ?
C’est un des sites les plus fréquentés de France, sur une des surfaces d’accueil les plus restreintes qui soit. Si je fais le rapport entre le nombre de m2 occupés pour l’accueil et le nombre de visiteurs, on peut dire que c’est remarquablement géré. Cela se traduit d’ailleurs par des taux de satisfaction des visiteurs qui sont très forts.
Mais c’est au prix d’énormément de travail. Il faut engager de nombreux saisonniers, pour arriver à faire fonctionner l’espace d’accueil l’été. Il faut lutter contre le stationnement sauvage qui pose des problèmes (risque incendie, piétinement, dépôt sauvage de déchets).
Chercher à gérer de manière qualitative cette fréquentation toujours croissante amène aussi à se poser de nombreuses questions. Le travail d’expertise mené s’emploie à faire émerger des réponses en élargissant le champ d’actions possibles, en cherchant à diversifier les modes de découverte, les parcours de visite. Au-delà de la requalification de l’espace d’accueil, il faut rapidement penser le site autrement pour raconter une histoire plus vaste pour ceux qui aiment la Dune et la connaissent mais aussi pour ceux qui ne sont que de passage.
Qu’est-ce que vous souhaiteriez ajouter que vous n’auriez pas exprimé en répondant aux 4 questions précédentes ?
Si l’on veut que celui-ci soit moins sous pression, un travail qui va être long, doit être enclenché, qui envisage le site de la Dune et son accueil dans un espace beaucoup plus large : depuis Arcachon, La Teste-de-Buch, le Cap Ferret, le Petit Nice. C’est un travail de programmation qui engage du foncier, qui mobilise d’autres acteurs. Que veut-on raconter de l’histoire de la dune ? Que veut-on que les visiteurs lisent de cette histoire à leur arrivée, lors de leur visite et retiennent à leur retour ? C’est cette approche qui est intéressante, elle renforcera la grandeur du site qui est probablement l’un des premiers points d’attractivité pour une population de territoires urbains où l’espace est beaucoup plus rare.
C’est cette histoire, dont le dénouement est l’accès au point culminant de la dune, qu’il faut continuer à écrire, chapitre par chapitre. Cela n’est pas contradictoire. J’imagine un fonctionnement qui en hiver serait assez différent de celui de l’été. Pour les pics de fréquentation, il faut envisager et mettre en place progressivement cet autre mode de fonctionnement, complémentaire à l’espace d’accueil. Et on peut faire le pari que cela ne sera que bénéfice pour le territoire plus globalement. C’est aussi une manière d’être moins consommateur express des espaces de nature, ce qui est dans l’esprit des Grands Sites de France. Allonger, c’est ralentir. C’est un rapport au temps, en même temps qu’à l’espace.